Dimanche 24/12 Bordeaux

Dimanche 24/12 Bordeaux

Evidement, mes armes de destruction massive en aluminium ne sont jamais arrivées. Certainement séquestrées par l’ONU… Le vol avait de toute façon 1h de retard ce qui ne me laissait pas le temps de me plaindre avant de prendre mon transfert pour Bordeaux.

J’ai dormi 3h, et j’ai la désagréable impression d’avoir perdu les bénéfices de ce voyage. A posteriori, je l’ai peut-être aussi fait à l’envers. L’intérêt, l’intensité et le plaisir allant décroissant depuis Santo Antao et ces 3 jours de trek fabuleux, plein de rencontres et d’authenticité. Passer 8nuits en pensions familiales aura été une première. Si cela m’a permis un bon repos, cela m’a parfois isolé. Mais je devrais essayer d’en inclure un peu plus entre les dortoirs dans mes longs périples.

Le Cap-Vert a beaucoup à offrir à qui sait s’adapter. A qui aussi sait entendre et comprendre ce que chaque ile a à raconter. Mon guide littéraire et livre de chevet aura été pour cela d’une grande aide : Notes Atlantiques, de Jean-Yves Loude.

Les amants de Noel

Sao Vicente, ce mois de Décembre était beau et calme. Toni, un jeune luthier, avait la réputation d’être un exceptionnel chanteur de Mornas. Ses amis avaient l’habitude de laisser tomber outils et devoirs lorsqu’il entonnait le Forca de Cretcheu, d’Eugenio Tavares.

Toni était lié par un amour profond à Titina. Elle n’était pas du genre des filles réchauffent les sens et font bondir les cœurs ; elle était de celles qui rendent heureux, simplement. Mais de cette union, rien ne naissait et le travail précieux de Toni ne trouvait que rarement preneur. Titina se mit alors au travail pour que son amant  puisse continuer à enchanter l’ile.

Ce mois de Décembre était beau et calme. Titina dut partir pour Santo Antao. « Pas plus de 4-5jours certainement ». Il fallait bien nourrir le couple. A peine le bateau parti, Toni sombra dans le désespoir de son atelier. Il n’avait plus le cœur à chanter.

Il n’y a rien de plus grand que l’amour

Si Dieu n’a pas de mesure, le mien est encore plus grand

Plus grand que la mer, que le ciel

Mais parmi les autres amours, le mien est encore plus grand.

Eugenio Tavares

Apres quelques jours, ses amis se rassemblèrent autour de lui. Chacun avait apporté un instrument. Il fallait redonner vie à la voix de Toni. Il se laisse amadouer et le petit groupe fila sur le ponton où Toni lança à la mer :

La plus agréable bien-aimée est la mienne

Elle est la clé qui m’a ouvert le ciel

Bien-aimée la plus agréable est celle qui m’aime

Ah si je la perds, que la mort vienne !

L’émotion de la voix était si forte, les sentiments si profonds que le ciel se voila et se mit à pleurer. Tant et Tant que la mer, ne supportant pas la douleur, s’agita, lutta, se cabra pour faire taire le malheureux.

Que les ondes de la mer furieuse soit ma sépulture

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Il s’appelait Fula, pécheur de profession et conteur de passions. Il avait un collier de perle blanche autour du coup qui reflétait celui qu’il avait aux lèvres. Sa joie de vivre, il la tenait du contentieux farouche qu’il avait avec la Mort. Marin prodige, il n’hésitait pas à sortir en mer lors de tempêtes mémorables. Il lui était souvent arrivé de venir en aide à des bateaux en détresse dans le chenal diabolique de Santo Antao, et de ravir à la Faucheuse le tribut espéré. Elle ne lui pardonnait pas et il savait qu’un jour, il aurait à payer le prix de ces affronts.

Ce mois de Décembre était beau et calme. La pèche avait été bonne les jours précédents et Fula décida de ne pas sortir en mer. Il préféra allait chasser la murène et les buzios dans une crique agitée de Sao Pedro. La corne blanche du phare s’élançait de la montagne noire vers la mer.

Soudainement, le bleu se changea en gris, les ratons en pluie. La mer se rua entre les rochers que Fula explorait, le balançant de-ci de-là avec la vigueur de la vengeance. Les vagues roulaient et l’écume noire ne démarquait plus ni la mer ni le ciel. Fula, assommé, désorienté, s’élança une dernière fois et agrippa une prise proche. Il put se hisser ainsi sur les hauteurs de la falaise. Se retournant, il aperçut perchée au sommet du phare la robe noire aux lambeaux trainant au vent de celle qu’il avait tant combattue. Pas aujourd’hui, lui cria-t-il ! Mais la Mort resta figée, indifférente, fixant la mer. Fula comprit que la vengeance ne serait pas sur lui quand il aperçut une chaloupe ballottée par la tempête. Elle revenait de Santo Antao, des pécheurs et des fermiers surement. Fula vit le bateau se faire happer par les montagnes d’eau, submerger par la mer, pousser inexorablement vers les lames destructrices de la cote. Il était cette fois impuissant. La Mort avait pris ses amis, des gens du village. Elle avait pris Titina…

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La nouvelle fit le tour de l’ile aussi vite que la tempête cessa. Les villages avaient perdu leur joie de vivre. La guitare s’était tue, Toni ne chantait plus. Le cœur déchiré ne savait plus inspirer ni sa voix ni ses mains. Les cordes de l’ile n’osaient plus vibrer. La vie s’était éteinte dans l’atelier. Ce mois de Décembre était gris, en deuil.

C’était la veille de Noel. Un Noel qu’on n’espérait plus fêter. Une rafale de vent balada pourtant une note parmi les ruelles pavées. Puis une deuxième emplit l’air. Un accord presque joyeux provenait du port. Des voix, des éclats, des rires même montaient de plus en plus furieusement. La chaloupe était de retour ! L’armature avait été solide et le capitaine expérimenté. Ils avaient dérivé plusieurs jours attendant un vent favorable qui pousserait l’embarcation blessée.

Toni sortit, la guitare dans une main, l’espoir dans l’autre. Elle était là, blanche et douce. Titina !

Elle était de celles qui rendent heureux.

Boa Natal, Joyeux Noel

(Adaptation libre d’une nouvelle de JY Loude) 

FORCA DE CRETCHEU (MORNA DE CABO VERDE)

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